Campagne de France taille sa route sous une Lune presque pleine et magnifique dans ce qui devrait normalement être la dernière nuit de course de cette RORC Transatlantic.
Petit à petit la Mer s'organise, mais c'est loin d'être encore tout à fait ça et nous avons droit à encore quelques belles plantades dans des talus liquides, occasionnant des arrêts brutaux et des belles gerbes d'eau de chaque côté de l'étrave, qui montent jusqu'aux barres de flèche (il faut dire qu'elles ne sont pas si hautes que ça les barres de flèche sur le gréement Axxon de Campagne de France - à peu près 6 mètres au-dessus de l'eau ).
Durant la course, par pudeur ou par stratégie, on ne parle en général pas de ses petits soucis. D'une part, à moins d'en faire tout un fromage, ça n'intéresse personne, d'autre part on se dit que si les concurrents l'aprenaient, ça pourrait leur remonter le moral. On a beau être bons camarades, quand on est en course on ne pleure pas forcément sur les malheurs des autres, surtout si ça fait nos affaires. C'est comme dans la vie, ça fait jamais bien de le dire, mais on en pense pas moins.
Pour les Terriens qui pensent que l'on risque de s'ennuyer sur un voilier, quand on ne barre pas, quand on ne manoeuvre pas, quand on ne règle pas les voiles, quand on ne fait pas la navigation, quand on ne mange pas, quand on ne dort pas... et accessoirement quand on n'écrit pas des bêtises sur l'ordinateur, qu'ils se rassurent, on a toujours de l'occupation. Il y a toujours de l'imprévu ou des péripéties à gérer.
Ainsi, certains objets du bord, probablement animés d'une âme maléfique, s'évertuent à nous rendre la vie impossible. On pourrait citer plein d'exemples, mais nous ne retiendrons que ceux qui sont les plus nuisibles à la bonne marche du bateau. Celui qui nous a donné le plus de fil à retordre ces derniers jours est un bête zip. Une fermeture éclair, objet pourtant basique que tout le monde utilise plusieurs fois par jour. Mais ce n'est pas n'importe quel zip et celui-ci, hormis qu'il fait plusieurs mètres de long est capital et son disfonctionnement peut avoir des conséquences dramatiques.
Notre spi medium est équipé d'un ris, c'est à dire que quand il est entier nous avons un spi en tête de mât et nous avons la possibilité d'escamoter toute la partie basse pour en faire un très joli petit spi de capelage, voile de brise idéale et très prisée par les temps qui courrent. Lorsque nous prenons le ris, tout le tissu de la partie basse est emprisonné dans un sorte de poche, fermée par ce fameux zip. Le problème est que notre zip a tendance à perdre ses dents comme un boxeur amateur qu'aurait causé mal à Joe Louis sans savoir à qui il s'adressait. Dès qu'il manque une dent c'est un point de faiblesse dans la fermeture et aussitôt tout le zip s'ouvre brutalement, la poche vomissant alors immédiatement le tissu qu'elle contenait. Lequel tissu se retrouvant en train de battre furieusement sous le spi et traînant en grande partie à l'eau. Et à ce moment là, la manoeuve pour récupérer tout ça, affaler le spi et ramenr le tout à bord, si possible en un seul morceau, n'est
pas une mince affaire. D'autant plus que chacun peut imaginer que si on est sous spi de brise, c'est qu'il n'y a pas un vent à laisser les fenètres ouvertes. Pour corser le tout la plage avant est submergée par les embruns, ou même passe à travers les vagues, et la manoeuvre est donc périlleuse. Cela nous est arrivé plusieurs fois, et c'est miracle que nous ayons pu sauver le spi à chaque fois, car Campagne de France aurait très bien pu se retrouver "en pêche", avec un chalut de 150m2 à la traîne. Et en général, quand ça part comme ça, le spi il aime pas. On ramène que des morceaux, justes bons pour alimenter les très nombreuses fabriques de sacs tès mode, façonnés à partir d'authentiques résidus de tissus à voile de bateaux de course.
Une fois que l'on a ramené le tout à bord, il faut repréparer le spi en remettant le ris en place, mais cela suppose une minutieuse vérification du fameux zip et la solution que nous avons trouvée est de mettre un patch de grey tape (bande adhésive grise très costaude) partout où il manque des dents pour renforcer ces points faibles. Tout ça ne se fait pas en 2 minutes, et pendant ce temps là le bateau se dandine sous grand voile seule à vitesse réduite et les petits camarades nous bouffent des milles. Et c'est come ça qu'on se retrouve avec une mauvaise note au pointage d'après.
Le spi à ris c'est une invention géniale, mais déjà en 2011 nous avions ces problèmes de zip et il est navrant que 5 ans après on en soit toujours là. Au lieu de débattre sur les théories du genre ou sexe des anges, il serait peut-être temps qu'on sauve ce qu'il nous reste d'Industrie dans notre pays pour pouvoir fabriquer des bonnes fermeture éclair, sinon on pourra bientôt plus fermer notre braguette sans demander aux Chinois s'ils veulent bien nous concéder, gentiment et au prix qui leur conviendra, un peu de fermeture éclair qui fonctionne.
Les autres objets maléfiques, nous en parlerons ultérieuerement. mais tout ça pour dire que, rassurez vous, nous ne nous ennuyons pas.
A bientôt et si les Dieux le veulent, nous découvrirons demain une nouvelle Terre (en tous cas nouvelle pour nous, car cela fait hélas déjà un moment que la main de l'Homme a été mettre les pieds un peu partout)
Campagne de France - à 150 milles de l'arrivée.